La réinstallation prochaine de la statue du général confédéré Albert Pike à Washington DC marque un nouvel épisode dans le débat sur la mémoire historique aux États-Unis. Démontée en 2020 lors des mobilisations antiracistes liées au mouvement Black Lives Matter, l’effigie fait aujourd’hui l’objet d’une décision de remise en place en vertu de directives signées par Donald Trump.
Une statue confédérée au cœur de Washington
Érigée en 1901, la statue de Pike avait été l’une des dernières figures confédérées visibles en extérieur dans la capitale américaine. Retirée en marge des manifestations consécutives au meurtre de George Floyd, son socle était resté vide depuis. Le Service des parcs nationaux prévoit désormais de la réinstaller, conformément aux décrets présidentiels visant à “rétablir la vérité et le bon sens dans l’Histoire américaine” et à “assurer un cadre de vie agréable dans le district de Columbia”.
Un cadre politique orienté sur la mémoire
Ces décrets présidentiels imposent aux institutions culturelles de mettre en avant des figures considérées comme patriotiques, tout en écartant les récits jugés divisants, notamment ceux relatifs à l’esclavage et aux luttes sociales. Jérôme Viala-Gaudefroy, spécialiste de civilisation américaine à Sciences Po Paris, estime que cette approche manifeste une volonté de contrôler le récit historique, jusqu’à intervenir dans la gestion des expositions de la Smithsonian Institution, l’un des plus grands complexes muséaux du pays.
Un projet perçu comme une réécriture de l’Histoire
Selon ce chercheur, cette initiative ne se limite pas à une réaction face aux mouvements antiracistes récents. Elle traduirait un objectif plus large de remodeler la mémoire collective et de renforcer une vision homogène du passé. Viala-Gaudefroy évoque une démarche inédite aux États-Unis, avec un usage étendu du pouvoir fédéral pour encadrer le récit culturel et historique.
Le parallèle avec l’Europe et Viktor Orban
Bien que nouveau dans le contexte américain, ce type de politique mémorielle trouve des échos en Europe, notamment en Hongrie. Le Premier ministre Viktor Orban mène depuis 2012 un vaste projet de reconstruction du château de Buda afin de restituer son apparence du XIXᵉ siècle, une période perçue dans le pays comme un âge d’or. Cette opération a toutefois suscité des critiques de la part de l’UNESCO et d’architectes, qui y voient une stratégie de démolition sélective et de revalorisation d’un passé idéal nationaliste.
Mémoire et identité collective
La gestion de la mémoire joue un rôle clé dans les stratégies politiques des partis de droite radicale. Elle est mobilisée comme vecteur d’unité et de distinction entre différents groupes sociaux. Cette instrumentalisation du patrimoine et des représentations culturelles permet, selon les observateurs, de renforcer le sentiment d’appartenance au collectif tout en excluant certaines mémoires jugées incompatibles avec le récit dominant.
Culture, art et enjeux politiques
Pour le sociologue Fabrice Raffin, maître de conférences à l’Université de Picardie Jules Verne, l’art et la culture ne sont jamais totalement neutres. Ils expriment des valeurs portées par les artistes et reflètent les tensions sociales de leur époque. Selon lui, réinstaller une statue ou réactiver un symbole du passé ne constitue pas un simple geste patrimonial : c’est une action à forte portée symbolique, susceptible de renforcer certaines divisions plutôt que de les réduire.
Vers une “guerre culturelle” transnationale
Ce type d’usage politique de la mémoire est souvent décrit comme une “guerre culturelle”, une expression popularisée dans les années 1990 par le sociologue James Davison Hunter. Ce phénomène dépasse désormais les frontières des États-Unis et s’inscrit dans un cadre plus large où l’identité, l’histoire et le patrimoine deviennent des terrains de confrontation politique à forte résonance internationale.